Derrière les comptoirs, la précarité : enquête sur des serveuses exploités
Dans les débits de boissons de Libreville, de jeunes Gabonaises exploitées dans l’indifférence générale.
D ans plusieurs bars et débits de boissons tenus par des ressortissants camerounais, des serveuses gabonaises dénoncent des salaires très en dessous du SMIG, des paiements irréguliers, des pressions constantes et le changement fréquent de gérantes comme stratégie pour éviter les réclamations. Faute de contrôles du Ministère du Travail, ces jeunes femmes restent piégées dans une précarité organisée.
Des salaires dérisoires et des conditions de travail indignes : Dans de nombreux quartiers de Libreville — PK5, Nzeng-Ayong, Lalala, Akébé ou Owendo — les témoignages des serveuses gabonaises se ressemblent. Derrière les néons des débits de boissons, ces jeunes femmes travaillent dix à douze heures par jour pour des rémunérations oscillant entre 35 000 et 50 000 FCFA, bien en dessous du SMIG gabonais fixé à 150 000 FCFA. « On nous promet un salaire fixe, mais parfois on ne reçoit que la moitié, parfois rien pendant deux mois », confie Christelle, 23 ans, embauchée sans contrat. La pratique est courante : salaires retardés, retenues injustifiées, horaires excessifs, absence de pauses et aucune couverture sociale. Pour beaucoup, le travail est pourtant vital, faute d’alternative professionnelle ou familiale.
Une exploitation organisée et une rotation suspecte des gérantes : Les propriétaires — le plus souvent des ressortissants camerounais établis dans l’exploitation des débits de boissons informels — ont mis en place un système bien rodé. Ils changent régulièrement les gérantes, parfois tous les deux ou trois mois, pour repartir à zéro et neutraliser les contestations internes. Chaque nouvelle gérante impose ses règles, renégocie les conditions et prétexte un « problème de trésorerie » pour retarder les paiements. Certaines serveuses racontent même être licenciées verbalement lorsqu’elles insistent sur leurs salaires : « Ils nous disent qu’ils vont changer de responsable et que tout sera réglé, mais on finit par repartir les mains vides », explique Mireille, 19 ans. Cette rotation permanente, combinée à l’absence de documents écrits, permet aux exploitants de contourner toute forme de responsabilité juridique.
Silence administratif et appel à une action urgente : Malgré l’ampleur du phénomène, les contrôles du Ministère du Travail sont quasi inexistants dans ce secteur informel mais fortement développé. Les inspecteurs, souvent concentrés sur les grandes entreprises, délaissent les débits de boissons où les abus sont pourtant systématiques. Les syndicats et ONG de défense des droits des travailleurs alertent sur un risque de « zone de non-droit » où la précarité s’institutionnalise. Sous la 5ᵉ République, plusieurs organisations appellent à une régularisation urgente : déploiement d’inspections ciblées, obligation de contrats écrits, sanctions contre les exploitants récidivistes et accompagnement professionnel des jeunes femmes en situation de vulnérabilité. Sans intervention rapide, préviennent-elles, une génération entière de travailleuses restera piégée dans un système d’exploitation invisible mais profond.
